Distinction entre responsabilité pour octroi et pour rupture du crédit

La distinction entre la responsabilité pour octroi du crédit et celle pour rupture brutale et abusive du crédit


Responsabilité du banquier rupture abusive crédit

Cass. com., 23 septembre 2020, n° 19-12.542



C'est un arrêt important (et publié au Bulletin) de la Cour de cassation qui a été rendu pour distinguer clairement entre la responsabilité du banquier au titre de l'octroi du crédit (ou soutien abusif) et la responsabilité du banquier au titre de la rupture brutale et/ou abusive du crédit.

L'articulation entre l'article L.650-1 du Code de commerce et l'article L.313-12 du Code Monétaire et financier

Une entreprise a sollicité des ouvertures de lignes de crédit à court terme auprès de plusieurs établissements, pour financer l’acquisition de stocks automobiles. Toutefois, cette société a rencontré des difficultés et deux établissements de crédit ont dénoncé les lignes de crédit consenties. L'entreprise a été placée en liquidation judiciaire dans les semaines qui suivirent et elle a voulu engager la responsabilité de ces établissements pour rupture abusive du concours bancaire. Cette action a été considérée comme irrecevable en première instance et en appel. Pour les juges du fond, l’action en responsabilité au motif pris d’une rupture abusive du concours bancaire obéit aux dispositions de l’article L.650-1 du Code de commerce, ce qui exclut la responsabilité des établissements de crédit hors les cas de fraude, d’immixtion ou de garanties disproportionnées. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation, estimant que l’article L.650-1 du Code de commerce ne trouvait pas à s’appliquer aux ruptures de crédit..


La Cour de cassation distingue clairement entre la responsabilité recherchée du fait de l’octroi du crédit (article L.650-1 du Code de commerce) et la responsabilité recherchée du fait de la rupture du crédit (article L.313-12 du Code monétaire et financier). Par voie de conséquence, lorsque le fait reproché à l’établissement de crédit est d’avoir accordé un crédit qui a aggravé la situation du débiteur, il faudra démontrer une fraude, une immixtion dans la gestion ou une prise de garantie abusive. Mais lorsque le fait reproché à l’établissement de crédit est d’avoir rompu son concours financier, la responsabilité sera ouverte à tous les cas où une faute sera établie à l’encontre de l’établissement de crédit et notamment l’absence de dénonciation écrite, le préavis insuffisant ou encore l’abus dans la rupture.

Une décision opportune pour encadrer efficacement la rupture de crédit

Cette distinction nous apparaît particulièrement opportune, tant la philosophie de l’article L.650-1 du Code de commerce est éloignée de celle de l’article L.313-12 du Code monétaire et financier. L’article L.650-1 du Code de commerce s’inscrit dans la volonté de faciliter le recours au crédit des entreprises traversant des difficultés. En effet, un établissement de crédit sera, en soit, suffisamment frileux compte tenu du risque de défaillance de son débiteur. Si l’on ajoute à ce risque la probabilité de voir sa responsabilité engagée pour avoir accordé le crédit à une entreprise en difficulté, alors la balance penchera très ou trop souvent vers le refus du crédit. Aussi le législateur a voulu rassurer l’établissement de crédit pour faciliter l’octroi du crédit en limitant strictement les cas de responsabilité.


L’article L.313-12 du Code monétaire et financier s’inscrit dans une philosophie tout à fait différente. Sans revenir sur le droit de rompre un concours à durée indéterminée, le législateur a voulu contraindre les établissements de crédit à respecter des formes et délais pour protéger le débiteur contre une rupture trop brutale et/ou abusive. Compte tenu de la disparité des objectifs recherchés par ces deux textes, il y avait une incohérence à les unifier en généralisant les actions en responsabilité du fait du concours consenti. Qui plus est, en pratique, il est difficile de concevoir en quoi la rupture d’un concours financier constitue une immixtion dans la gestion du débiteur et, par hypothèse, elle ne donne pas lieu à la prise de garantie. Soumettre l’action en responsabilité pour rupture brutale et/ou abusive du concours financier à l’article L.650-1 du Code de commerce aurait alors nécessité la démonstration d’une fraude, toujours difficile à établir. La décision de la Cour de cassation est heureuse de ce point de vue.

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